[Par Julien Rock, l’Humanité]
Du 12 au 14 septembre avait lieu, à la Courneuve, la Fête de l’Humanité. Lieu festif et espace de débats, c’est aussi un moment de réflexion, de recherche d’alternatives aux politiques austéritaires. C’est dans ce cadre que s’est tenu le samedi 13 septembre, sur le stand de la fédération de Moselle du Parti Communiste Français, pour la première fois, un débat entre Eric Bocquet, sénateur communiste, et Justin Turpel, député déi Lénk au Parlement luxembourgeois.
La discussion portait sur les possibilités de coopération transfrontalière face à l’évasion fiscale. Ce débat, une première à l’échelle européenne, a permis de dresser un constat édifiant, mais aussi de dégager des possibilités d’action pour reprendre la main sur la finance débridée. Justin Turpel a d’abord tenu à rappeler que le libéralisme austéritaire touche tous les pays européens, même le Luxembourg, où une coalition entre sociaux-démocrates, Verts et libéraux mène une politique antisociale au seul profit des actionnaires et des banques d’affaires. Eric Bocquet a réagi en soulignant que la situation était comparable en France, où la gauche s’était progressivement vautrée dans un libéralisme qui n’a rien à envier aux idées les plus droitières sur le plan économique.
Des situations similaires dans toute l’Europe
En tant que sénateur, Eric Bocquet a participé à une commission d’enquête chargée de rendre un rapport sur l’évasion fiscale. Ce statut d’enquêteur lui a permis d’effectuer un travail de fond, dont il a tenu à rendre compte. « Avant, j’avais des convictions. Maintenant, j’ai des certitudes. »
Le travail d’enquête mené par Eric Bocquet et les autres sénateurs permet de se rendre compte que l’évasion fiscale est un des symptômes les plus visibles d’un système capitaliste à bout de souffle. Cela lui a permis de se rendre compte que, contrairement au discours tenu par la majorité des gouvernements européens, on ne manque pas d’argent. Dès lors, l’austérité apparaît comme un
processus politique délibéré, affamant volontairement les peuples, au bénéfice d’une oligarchie financière. Dès lors l’évasion fiscale apparaît d’autant plus scandaleuse. Si Eric Bocquet était déjà conscient de l’importance de l’évasion fiscale, l’ampleur de ce qu’il découvre est bien plus importante. Et il tient à l’exprimer ainsi : « Avant, j’avais des convictions. Maintenant, j’ai des certitudes. » Son travail lui a permis de dresser trois constats principaux. D’abord, le coût de l’évasion fiscale à la seule échelle française peut désormais être précisément chiffré : entre 60 et 80 milliards d’euros par an de manque à gagner pour l’Etat.
Des milliards qui disparaissent
Ce montant est significatif dans un pays où l’on préfère s’attaquer aux chômeurs prétendument fainéants plutôt qu’aux grands groupes qui privent l’Etat d’une partie importante des ressources dont il aurait besoin. Ensuite, l’évasion fiscale se fait à l’échelle européenne grâce à un véritable système occulte formé de comptables et d’avocats fiscalistes complaisant, spécialisés dans l’élaboration de montages financiers.
Enfin, et surtout, cette évasion fiscale se fait avec le soutien d’Etats corrompus cherchant au passage à s’enrichir. Il cite la petite île de Nauru qui, malgré sa taille plus que modeste, abrite le siège de plus 400 banques. Dans ce contexte d’évasion fiscale mondialisée, la riposte doit donc se construire au delà des enjeux nationaux. Ainsi, pour Justin Turpel, il faut d’abord réformer la politique fiscale des paradis fiscaux pour mettre un frein à l’évasion, au moins à l’échelle européenne.
Le Luxembourg n’est pas un paradis pour tout le monde
Pour le député de la gauche radicale luxembourgeoise, il est ainsi nécessaire d’instaurer dans son pays un impôt juste, universel et transparent. Par ailleurs, il tient à dénoncer le fait que l’on dise que le Luxembourg est un « paradis ». S’il en est un pour les banques et les firmes adeptes de l’optimisation fiscale, le Luxembourg est tout sauf un paradis pour les nombreux travailleurs frontaliers et pour les classes populaires du pays .
Les inégalités sont criantes : le taux de pauvreté s’élève à 16% et grimperait même à 54% si la protection sociale était réduite. Le PIB luxembourgeois est fait pour un tiers d’activités financières opaques qui ne profitent pas au peuple du pays.
Des pistes de bataille communes
Le tableau dressé par Justin Turpel fait réagir Eric Bocquet, qui évoque des « pistes de bataille communes ». Il faut unir les forces progressistes d’Europe pour remettre la politique au service des peuples. La lutte contre l’évasion fiscale est par ailleurs une question de justice sociale : refuser de payer l’impôt, c’est refuser le principe même de République. Les deux élus tombent d’accord sur le fait que la finance est nécessaire à partir du moment où celle-ci sert l’économie réelle et ceux qui en ont besoin.
Ce qui n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui dans la mesure où, d’après les travaux d’Eric Bocquet, seulement 2% de l’activité financière sont investis dans l’économie réelle. Dans chaque pays, les syndicats, les associations, les partis politiques et la société civile commencent à prendre la mesure du problème posé par l’évasion fiscale. Il faut désormais coordonner, organiser cette colère pour la faire retentir dans tout le continent : un problème européen nécessite des réponses transfrontalières.
Enfin, si la discussion a permis aux deux élus d’analyser le problème de l’évasion fiscale et de dégager des perspectives, le débat a également été l’occasion pour eux de donner rendez-vous aux militants au début de l’année 2015, où ils livreront les résultats d’un travail commun, appelé à devenir un document de base pour porter encore plus haut la lutte contre l’évasion fiscale.
Julien Rock, l’Humanité