Élections fédérales de 2025:

Élections fédérales de 2025: Les principales conclusions et un regard vers l’avenir

Sommaire:

Remarque préliminaire sur la signification des élections.
1) Tournant à droite également en Allemagne.
2) Les partis du gouvernement sortant sont sanctionnés.
3) La gauche renforcée.
4) La participation électorale est corollaire du revenu.
5) L’AfD, le nouveau parti ouvrier?
6) Et maintenant?

(1) Tournant à droite également en Allemagne: Lors des élections fédérales du 23 février 20025, la CDU/CSU (union de la droite chrétienne) devient le premier groupe parlementaire au Bundestag, tandis que l’AfD (parti d’extrême droite) double sa part de voix et devient le deuxième groupe parlementaire. La majorité au Bundestag est de droite et d’extrême droite. Un rapprochement de la CDU avec l’AfD trois semaines avant les élections a surtout profité à ce dernier tout comme les tentatives du SPD et des Verts de reprendre une partie du récit de l’AfD. Une première évidence politique s’est ainsi confirmée: celui qui copie l’original le renforce.

(2) Les partis de la coalition gouvernementale sortante sont sanctionnés: Le SPD, qui était encore en 2021 le parti le plus élu au Bundestag avec 25,7 %, perd 9,3 points de pourcentage et la moitié de ses mandats au Bundestag. Il réalise ainsi son plus mauvais résultat historique. Les Verts s’en sortent un peu moins lésés. Le FDP (parti libéral) disparaît du Bundestag. Cela confirme un deuxième constat empirique: ceux qui assument des responsabilités gouvernementales alors que de plus en plus de personnes ressentent les conséquences de la crise économique sont sanctionnés. En l’occurrence, au profit de l’opposition de l’extrême droite et de la gauche radicale.

(3) La gauche renforcée: Die Linke, la gauche, à laquelle on prédisait environ 3 % au début de l’année avec un échec au seuil des 5 % fixée pour accéder au Parlement, a connu un essor spectaculaire avec un total de 8,8 %, avec 25 % chez les jeunes électeur·rices et 27 % chez les primo-votant·es. Die Linke a abordé des thèmes sociaux qui touchaient les gens, a fait une campagne de porte-à-porte intense et impressionnante avec de nombreux nouveaux membres, et a utilisé habilement les médias sociaux. Cela nous amène à une troisième évidence: la politique de gauche, qui met l’accent sur la solidarité antifasciste et la situation sociale des gens, est également soutenue électoralement.

(4) La participation électorale dépend du revenu: La participation électorale a nettement progressé (82,5 %), mais elle varie fortement d’une circonscription à l’autre. La carte de la participation électorale coïncide avec la carte des revenus des électeur·rices. Ce qui est empiriquement prouvé depuis longtemps: plus une circonscription électorale ou un quartier est pauvre, plus la participation électorale est faible. À cela s’ajoute le fait que les jeunes de moins de 18 ans et surtout les 12,1 millions d’étranger·s et d’apatrides vivant en Allemagne n’ont pas le droit de vote.

(5) L’AfD, le nouveau parti des travailleur·euses? L’AfD est le parti le plus fort chez les travailleur·euses et les chômeur·euses. Il se présente comme le «parti des petites gens» et associe à cela son récit d’une ascension inéluctable. Cependant, la part des «travailleur·euses» dans la population active a diminué au cours des dernières décennies jusqu’à 11 %, alors qu’actuellement 72 % des actifs sont des employé·es. À cet égard, la CDU/CSU est le parti le plus fort avec 26 %. De plus, l’ascension n’est ni linéaire ni inéluctable.(6) Et maintenant? Les défis sont multiples: endiguer et stopper la montée de l’AfD, l’idéologie de l’extrême droite et ses agissements racistes; lutter contre les inégalités croissantes et la détérioration de la situation sociale de nombreuses personnes, en prenant également au sérieux les défis du changement climatique; défendre les structures décisionnelles démocratiques et encourager l’auto-organisation et l’auto-détermination des personnes. Tout cela est également lié à la question du  system change».

Les élections municipales, régionales et fédérales constituent le cadre institutionnel des décisions politiques en matière de politique économique, sociale, climatique ou étrangère. C’est pourquoi la période pré-électorale est une période de sensibilité accrue pour les questions politiques. Ce l’était absolument pour les élections fédérales de 2025. Certes, il n’y aura pas de ministres ni de chancelier·ère élu·es directement, mais 630 député·es composeront le Bundestag, issus de 299 circonscriptions. Les votes, et par conséquent la composition politique de cette assemblée, détermineront en partie le gouvernement et la politique qui seront possibles.

Cependant, les élections ne sont pas le seul facteur déterminant politiquement la situation sociale et sociétale des individus. L’opposition extraparlementaire, c’est-à-dire la mobilisation des mouvements sociaux, des organisations syndicales et sociétales dans l’espace public, dans la rue, dans les médias et dans le débat public, fait partie des rapports de force et joue un rôle décisif dans la détermination de la politique qu’un gouvernement pourrait mettre en œuvre. Il ne faut pas négliger non plus le pouvoir politique des géants économiques, qui n’apparaissent généralement pas directement dans le débat public, mais qui savent utiliser leur pouvoir dans les médias et au sein de l’État pour mettre en avant leurs intérêts économiques et politiques.

La question de la capacité de la CDU/CSU à gouverner ou à pactiser avec l’AfD pour mettre en œuvre une partie de sa politique droitière commune dépend essentiellement de ce que permettent les mobilisations extraparlementaires. Il en va de même pour la politique qui serait mise en œuvre par une coalition possible entre la CDU/CSU et le SPD.

Les résultats électoraux reflètent les aspirations de la société et les rapports de force établis, mais rappelons qu’ils ne sont pas les seuls déterminants de lapolitique. Et maintenant, retour aux résultats des élections fédérales de 2025.

Premier constat: La tendance à la droitisation observée dans le monde entier ces dernières années et décennies s’est également traduite par un virage à droite en Allemagne lors des élections fédérales du 23 février 2025.

L’AfD (Alternative für Deutschand – Alternative pour l’Allemagne, parti d’extrême droite)a doublé son score électoral. Avec 20,8 % des suffrages exprimés et 152 député·es (+10,4 points de pourcentage et +69 sièges par rapport aux élections fédérales de 2021), elle devient la deuxième force au Bundestag. Même si elle espérait faire mieux en raison de l’attitude radicale d’extrême droite et de la propagande raciste de sa tête de liste Alice Weigel, ainsi que du soutien d’Elon Musk, l’extrême droite n’a jamais été aussi fortement représentée au Bundestag depuis 1945.

Avec un gain de 3,6 points pour la CDU (Christlich Demokratische Union – union chrétien-démocrate, parti de droite de Friedrich Merz) et une quasi-stagnation de la CSU (Christlich soziale Union – union chrétien-sociale, parti de droite de Markus Söder en Bavarie), l’Union (union entre la CSU et la CDU, qui ont fait campagne ensemble  pour que Friedrich Merz devienne chancelier)devient le groupe parlementaire le plus important au Bundestag avec un total de 28,6 % des voix et 208 député·es. Toutefois, avec 11 député·es supplémentaires, sa progression est nettement plus faible que prévu. L’Union de la CDU/CSU ne se remet que faiblement de son plus bas niveau atteint lors des dernières élections fédérales (24,1 % en 2021) et reste loin des 35-48 % obtenus de 1953 à 2017. La CDU est elle-même largement responsable du renforcement de l’extrême droite. En s’alliant avec l’AfD au Bundestag trois semaines avant les élections fédérales, elle a clairement montré sa volonté de mener une politique de droite, voire d’extrême-droite, et d’exclusion sociale dure, même si cela ne l’a pas aidée sur le plan électoral comme elle l’espérait.

Les Verts (Bündnis 90/Die Grünen, les verts) et le SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschland, parti social-démocrate), et notamment leur tête de liste le chancelier Olaf Scholz, ont également fait savoir haut et fort qu’ils partageaient le thème fixé par l’AfD, à savoir « le manque de sécurité dû à l’immigration incontrôlée ». Ils défendaient une « limitation stricte de l’immigration » et prônaient une expulsion conséquente d’« immigrants illégaux », reprenant ainsi le récit de l’extrême droite. L’immigration et la sécurité sont ainsi devenues des thèmes centraux de la campagne électorale des partis politiques, et des médias. Sur le plan électoral, cela n’a toutefois pas aidé les partis du soi-disant centre. Au contraire, ces élections législatives ont confirmé une première évidence politique, démontrée depuis longtemps par de nombreuses études en sciences politiques: celui qui copie l’original le renforce.

L’AfD a réussi à convaincre 1.810.000 non-votant·es (17,5 % de son électorat) de se rendre aux urnes et de voter pour eux, 1 010 000 électeur·rices de la CDU se sont tournés vers l’AfD, 890 000 électeur·rices du FDP, 720 000 électeur·rices du SPD et environ 100 000 électeur·rices de la gauche et des Verts.

L’Union a gagné 1.760.000 électeur·rices venants du SPD, 1.350.00 électeur·rices venants du FDP, 900.000 électeur·rices qui ne votaient pas auparavant et 460.000 électeur·rices des Verts. Grâce à la coalition prévue entre la CDU/CSU et le SPD l’AfD devient en même temps le parti d’opposition le plus fort au Bundestag, ce qui s’accompagne de quelques avantages supplémentaires. Dans les groupes d’âge de 25 à 34 ans, l’AfD est le parti le plus fort avec 24% et chez les 35-44 ans avec 26%, chez les 18-24 ans, l’AfD est le deuxième parti avec 21% des voix derrière Die Linke avec 25%. Dans tous les Länder de l’Est, l’AfD est le parti le plus fort avec une moyenne de 34,5 % (à l’Ouest, la moyenne est deux fois moins élevée, soit 17,9 %).Ensemble, le CDU/CSU et l’AfD ontobtenu 49,3 % des voix exprimées (+14,4 %) et représentent, avec 360 député·es (+80), bien plus de la moitié, exactement 57 % des 630 député·es du Bundestag. Un net virage à droite se dessine donc pour les élections fédérales de 2025.

Ensemble, le CDU/CSU et l’AfD ontobtenu 49,3 % des voix exprimées (+14,4 %) et représentent, avec 360 député·es (+80), bien plus de la moitié, exactement 57 % des 630 député·es du Bundestag. Un net virage à droite se dessine donc pour les élections fédérales de 2025.

Remarque importante concernant le nombre de sièges: le nouveau Bundestag ne compte plus que 630 sièges, alors que le Bundestag élu en 2021 comptait encore 736 sièges avec 103 mandats excédentaires. Une réforme de la loi électorale en mars 2023 a supprimé les mandats excédentaires, ce qui signifie que le Bundestag 2014 compte au total 14 % de sièges en moins que celui de 2021. Une augmentation du nombre de sièges doit donc être évaluée d’autant plus attentivement ; lors de l’évaluation d’une perte, il faut tenir compte de la réduction du Bundestag. C’est pourquoi les augmentations et les diminutions en pourcentage sont plus parlantes que les gains ou les pertes de sièges.

Les partis de la coalition gouvernementale sortante, dite « Ampelkoalition », c’est-à-dire le SPD, les Verts et le FDP (Freie Demokratische Partei, parti libéral de droite de Christian Lindner), ont été sanctionnés électoralement tous les trois pour leur politique qui a aggravé la situation de nombreuses personnes. Il a perdu 20 % des voix et plus de la moitié de ses 416 mandats précédents, et compte désormais 205 sièges (-211), ce qui ne représente plus que 32,5 % du Bundestag.

Le SPD, qui était encore le parti le plus fort au Bundestag lors des élections de 2021 avec 25,7 %, a reculé à 16,4 % avec une perte de 9,3 points de pourcentage. Il ne devient donc plus que le troisième groupe parlementaire avec 120 député·es (contre 206 auparavant), derrière la CDU/CSU et l’AfD. Ensemble ils ont perdu 20 % des voix et un peu plus de la moitié des 416 mandats qu’ils détenaient jusqu’à présent, passant à 205 sièges (-211). Lespertes des Verts ont été moins importantes, avec 3,1 points de pourcentage à 11,6 % et 85 député·es (-33). Pour le SPD, il s’agit du pire résultat depuis la Seconde Guerre mondiale, tandis que les Verts ont pu éviter de passer sous la barre des 10 %.

Malgré une tentative de se distancier de la politique de la coalition gouvernementale, dont elle faisait partie jusqu’en novembre, le FDP et son chef de file Lindner n’ont pas atteint la barre des 5 % pour entrer au Bundestag et ont réalisé le plus mauvais résultat historique de leur histoire.

Le SPD a perdu 1.760.000 de ses électeur·rices au profit de la CDU/CSU, 720.000 au profit de l’AfD et 560.000 au profit de Die Linke, mais n’a pu gagner que 250.000 non-votant·es et 120.000 électeur·rices du FDP.

Ensemble, le CDU/CSU et le SPD obtiennent 44,9 % des voix et 328 député·es (sur 630). Cela représente 52,1 % des mandats du Bundestag et suffit pour un gouvernement majoritaire, mais pas pour une majorité des deux tiers qui serait nécessaire, par exemple, pour modifier la Constitution. Cela confirme un deuxième constat empirique: ceux qui assument des responsabilités gouvernementales alors que de plus en plus de personnes ressentent les conséquences de la crise économique sont sanctionnés. En l’occurrence, au profit de l’opposition de la droite, surtout de l’extrême-droite et de gauche.

Le parti Die Linke (La Gauche, situé à la gauche de la social-démocratie) dont les chances de franchir la barre des 5 % étaient encore considérées comme faibles quelques semaines avant les élections, est sorti renforcé des élections au Bundestag avec 8,8 % des voix (+3,9 points de pourcentage) et 64 député·es (+25). Elle a obtenu 12,9 % des voix valables à l’Est et 7,9 % à l’Ouest. Manifestement, Die Linke a fait beaucoup de choses correctement après sa séparation d’avec Sarah Wagenknecht et ses partisan·es en octobre 2023 et a fortement gagné la faveur des jeunes électeurs* en particulier. Jusqu’aux élections fédérales, Die Linke a plus que doublé le nombre de ses membres, passant de 50.000 à 110.000, les jeunes de moins de 30 ans étant les plus nombreux à adhérer au parti. Jamais Die Linke n’avait compté autant de membres.

Parmi les réussites que Die Linke a réalisé ensemble avec ses nouveaux membres, on peut citer la prise de distance conséquente vis-à-vis de la droite et de l’extrême droite, la dénonciation virulente de l’alliance de la CDU/CSU avec l’AfD, la lutte contre le racisme et le fascisme, mais aussi la prise en charge de thèmes sociaux tels que les loyers, le coût de la vie et la sécurité sociale. De même qu’un porte-à-porte systématique (auprès de 600.000 ménages), une utilisation intelligente des médias sociaux et, finalement, une discussion ordonnée au sein du parti, avec en conséquence une présentation unie du parti.

Chez les électeur·rices de 18 à 24 ans, Die Linke devient le parti le plus populaire avec 25 % d’approbation (chez les primo-électeur·rices, il atteint même 27 %), chez les 25-34 ans, Die Linke atteint tout de même 16 % et devient dans cette tranche d’âge le deuxième parti derrière l’AfD. Dans le groupe d’âge le plus jeune, il faut toutefois encore tenir compte d’une différenciation : parmi les jeunes femmes, un tiers (35 %) a voté pour Die Linke, tandis que parmi les jeunes hommes, 27 % ont voté pour l’AfD. Die Linke a pu récupérer 700.000 électeur·rices des Verts, 56. 000 du SPD, 290.000 non-électeur·rices ainsi que 100.000 membres du FDP et 70.000 de la CDU/CSU ; Die Linke a perdu 350.000 électeur·rices au profit du BSW et 110 000 au profit de l’AfD. Par ailleurs, le nombre d’adhérent·es de Die Linke a plus que doublé depuis le début de l’année, passant d’environ 50.000 à plus de 100.000.

Cela nous amène à la troisième évidence: une politique de gauche, qui place la solidarité antifasciste et la situation sociale des gens au centre, est une politique qui trouve un écho électoral, surtout auprès de jeunes.

Avec 2.468.670 voix, le BSW (Bündnis Sarah Wagenknecht, regroupement autour de Sarah Wagenkecht ayant quitté Die Linke en 2024, tout en défendant une politique de restriction migratoire et d’expulsions, une politique économique plutôt libérale et une politique sociale ouvriériste, refusant de mettre en avant une politique queer) a atteint 4,972 % des voix valables exprimées. Il ne lui manquait que 13.453 voix pour dépasser la barre des 5 %. Cela ne fait que souligner la deuxième évidence mentionnée plus haut: celui qui – comme le BSW – s’adapte aux narratives de droite et les adopte, renforce l’original (de droite) et peut ainsi lui-même sombrer. Si le BSW avait réussi à entrer au Bundestag, le nombre de mandats des autres partis serait proportionnellement plus faible et la CDU/CSU et le SPD n’auraient alors pas de majorité au Bundestag. Il faudrait alors une alliance à trois (CDU/CSU, SPD et Verts) pour obtenir une majorité gouvernementale.

Sur les presque 60,5 millions d’électeur·rices, 49,6 millions ont effectivement participé aux élections et exprimé un vote valable. Ainsi, le taux de participation a augmenté de 6,2 % par rapport aux élections fédérales de 2021 pour atteindre 82,5 %, mais il reste nettement inférieur aux taux de participation plus élevés (supérieurs à 90 %) des années 1970. La participation électorale varie en effet grandement d’une circonscription à l’autre : « Les schémas de non-participation sont clairs : plus une circonscription électorale ou un quartier est pauvre, plus la participation y est faible. La probabilité de ne pas voter est particulièrement élevée chez les personnes à faible revenu et à faible niveau d’éducation formelle ». C’est le constat déjà fait en septembre 2023 à travers une étude d’Armin Schäfer, commandée par la Friedrich-Ebert-Stiftung pour l’analyse des élections législatives de 2021. Cette conclusion devrait également se confirmer lors des élections fédérales de 2025. Ainsi, les élections municipales du 2 mars 2025 à Hambourg ont montré que la participation, qui était en moyenne de 68 %, variait de 47,1 % à 83,3 %. Les quartiers avec la participation électorale la plus faible sont également ceux où les revenus sont les plus faibles, tandis que les quartiers avec les revenus les plus élevés présentent également la participation la plus élevée. Étant donné que les personnes plus aisées votent non seulement plus, mais aussi différemment des personnes plus pauvres, on assiste à un glissement politique de la représentation des intérêts des couches de revenus inférieures vers les préoccupations des personnes aisées.

Parmi les électeur·rices en «mauvaise situation économique», 39 % ont voté pour l’AfD, 17 % pour la CDU/CSU, 12 % pour le SPD, 11 % pour Die Linke et 6 % pour les Verts. Plus de la moitié des électeur·rices (53 %) indiquent avoir de grandes inquiétudes de ne plus pouvoir payer leurs factures. Ce chiffre s’élève à 75 % chez les électeur·rices de l’AfD, 60 % chez ceux de Die Linke, 46 % chez ceux de la CDU/CSU, 43 % chez ceux du SPD et 28 % chez ceux des Verts. Si l’on calcule les résultats des partis lors de ces élections fédérales non pas en pourcentage des voix valables, mais en pourcentage des personnes en droit de voter, on obtient le tableau suivant:

CDU/CSU et AfD, qui représentent ensemble 57 % des député·es, ne représentent que (mais tout de même) 40,5 % des personnes en droit de voter.

Malgré une majorité de 52,1 % des mandats au Bundestag, qui autorise la formation d’une coalition gouvernementale, l’Union et le SDP ne représentent ensemble que 36,9 % des personnes en droit de voter, soit un bon tiers. Outre les abstentionnistes, un grand nombre de personnes sont privées de leur droit de vote: les jeunes de moins de 18 ans, mais aussi les 12,1 millions d’étranger·ères et d’apatrides qui vivent et sont enregistrés en Allemagne. En plus de la non-participation des personnes plus pauvres, l’exclusion d’une grande partie de la population du processus électoral constitue un déficit démocratique majeur. Si cette situation était modifiée, le résultat des élections serait en partie différent.

Les partis traditionnels ne sont pas seulement affaiblis ; leur clientèle évolue également. Alors que la CDU/CSU attire encore surtout les plus âgé·es, l’AfD séduit de plus en plus les 25-44 ans. Parallèlement, le SPD ne recueille plus que 12 % des voix des ouvrier·ères (-14 %) et 13 % des chômeur·euses, tandis que 38 % des ouvrier·ères (+17 %) et 34 % des chômeur·euses votent pour l’AfD. Mais attention, la catégorie «ouvrier·ères» ne représente qu’une faible partie des «travailleur·euses». Selon l’Office fédéral des statistiques, l’Allemagne comptait en janvier 2025 parmi les 45,6 millions d’actifs; 72 % étaient des employé·es et seulement 11 % (5 millions) des ouvrier·ères (en outre, 5 % de fonctionnaires, 8,7 % d’indépendant·es et 3,6 % d’apprenti·es). Dans les années 1990, la part des ouvrier·ères était encore de 36 à 39 %, celle des employé·es de 45 à 47 %. Chez les employé·es, la CDU/CSU est le parti le plus fort avec 26 %, suivi de l’AfD avec 21 %, du SPD avec 15 %, des Verts avec 13 % et de Die Linke avec 9 %. Et parmi les 5 millions d’ouvrier·ères, une grande partie n’a probablement pas du tout le droit de vote puisqu’ils font partie des 12,1 millions de personnes de nationalité étrangère résidant en Allemagne.

Si l’on fait abstraction de la différence sociologiquement dépassée entre les ouvrier·ères et les employé·es (dans plusieurs autres pays, cette différence est également abolie par la loi) et que l’on considère les deux catégories comme des salarié·es, la CDU/CSU arrive en tête avec 25,5 %, suivie de l’AfD avec 23,3 %, du SPD avec 14,6 %, des Verts avec 12,0 %, de Die Linke avec 8,1 %, du BSW avec 5,7 % et du FDP avec 4,0 %. Les salarié·es votent donc majoritairement à droite, pour le SPD, la gauche ou les Verts: environ un tiers.

L’AfD a marqué des points également auprès des personnes dont la situation financière est mauvaise (39 %). Bien que son programme, qui prévoit des allègements de charges surtout pour les hauts revenus et un démantèlement social, dise exactement le contraire, l’AfD est parvenue à se présenter comme le «parti des petites gens». Malgré les avertissements des syndicats, qui ont prévenu les salariés que ceux-ci ne devaient pas s’attendre à des améliorations de la part de l’AfD, de nombreuses personnes vivant dans des situations de plus en plus précaires 39 % ont voté pour ce parti pour protester contre les partis au pouvoir, mais 54 % parce qu’elles approuvent le programme de l’AfD, y inclus ou même à cause de sa politique d’exclusion, raciste et nationaliste. L’AfD associe le mythe du «parti des petites gens» à celui d’une ascension inéluctable : « La CDU ne réussira pas et alors nous deviendrons le parti le plus fort. » Cependant, il n’y a pas d’automatisme pour une telle évolution. En effet, l’ascension d’un parti d’extrême droite dépendra largement de la question de savoir si la base de l’appauvrissement économique de nombreuses personnes lui sera retirée. Son ascension n’est ni linéaire ni inéluctable, comme le montre la montée en puissance parallèle d’une alternative de gauche, notamment chez les jeunes. Nous ne devons pas non plus oublier que 80 % de ceux qui ont voté n’ont pas soutenu l’AfD. Néanmoins, il faut prendre au sérieux le fait que l’AfD réussit actuellement à s’emparer de personnes en difficulté.

Après les élections fédérales de 2025, les défis sont multiples, parmi lesquels je voudrais souligner les suivants. Enrayer la montée de l’AfD, l’idéologie d’exclusion et les pratiques racistes et, pour ce faire, défendre les structures décisionnelles démocratiques ainsi que les droits des minorités. Lutter contre les inégalités croissantes et la détérioration de la situation sociale de nombreuses personnes ; les craintes des gens pour l’avenir constituent en effet un terreau fertile pour les manœuvres populistes et le renforcement de la droite et de l’extrême droite. Il faut également prendre au sérieux les défis posés par le changement climatique, qui affectent plus particulièrement les personnes qui craignent de ne pas pouvoir joindre les deux bouts, et empêcher que le changement climatique ne serve de prétexte à l’augmentation des inégalités sociales et des craintes. Tout cela est lié, y compris aux questions de pouvoir et de système: « system change, not climate change ».

Die Linke est en train de préciser son concept d’organisation, notamment en ce qui concerne l’intégration de nouveaux membres, mais aussi son orientation parlementaire et extraparlementaire.

À cet égard, le concept d’une «politique économique antifasciste», tel qu’il a notamment été développé par l’économiste Isabella M. Weber, fait l’objet de discussions intensives dans les cercles d’économistes progressistes, tout comme le concept d‘une «transformation écosocialiste» développé par le sociologue Michael Löwy. Cette dernière vise à opérer une transformation sociale plus profonde et fait actuellement l’objet d’un large débat international. Beaucoup de raisons pour y revenir plus en détail.

Justin Turpel, 10 mars 2025
Dans les jours qui ont suivi la première publication, quelques corrections ont été apportées.

Cet article en français a été publié également
– sur le site Europe Solidaire sans Frontières- ESSF – Français
– sur le site du CADTM – Comité pour l’abolition des dettes illégitimes [fr]

et en allemand
– auf dem Internet-Portal von Emanzipation.org

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