[Ma question parlementaire urgente au Ministre des Finances concernant la mission économique et financière du Luxembourg aux Émirats arabes unis et au Qatar, et la situation des droits de l’homme dans ces pays.]
Il me revient que vous dirigez une mission financière, présidée par le Grand-duc Héritier et accompagnée d’une délégation d’une soixantaine de représentants d’entreprises luxembourgeoises du secteur financier, aux Émirats arabes unis du 1er au 3 mars et au Qatar du 4 au 5 mars 2015. La mission aurait pour objet de faire la promotion de la place financière dans la région et de renforcer les relations politiques et économiques avec ces pays.
Vous n’êtes pas sans savoir, que dans ces Etats les droits de l’homme les plus élémentaires ne sont guère respectés (*).
Dans ce contexte, je voudrais savoir de Monsieur le Ministre des Finances:
1) Monsieur le Ministre est-il disposé à intervenir dans le cadre de la mission actuelle auprès des autorités des Émirats arabes unis et du Qatar afin de faire respecter les droits de l’homme et les huit conventions fondamentales de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et d’honorer l’engagement que «le Luxembourg attache beaucoup d’importance aux droits de l’Homme»?
2) Ne serait-il pas opportun de restreindre les relations politiques et économiques avec ces pays, aussi longtemps que les droits de l’homme les plus élémentaires n’y sont pas respectés?
Justin Turpel,
Député
(*) En ce qui concerne les Émirats arabes unis, la plateforme humanrights.ch et Amnesty International notent:
«Les Emirats Arabes Unis sont un Etat fédéral qui regroupe sept émirats dont les villes d’Abou Dhabi et de Dubaï. Seules 11.5 pourcent de cette population de 8.5 millions de personnes sont des citoyen-ne-s des Emirats Arabes Unis. Il n’existe ni élections, ni principes démocratiques, ni séparation des pouvoirs. Les partis politiques sont prohibés. Les citoyens masculins peuvent formuler des demandes à l’attention des dirigeants politiques à travers des mécanismes de consultation traditionnels. Les problèmes des droits humains majeurs sont les arrestations arbitraires et les déficits dans le système judiciaire et pénitentiaire. Par ailleurs, la torture et la violence sont utilisées dans les prisons. La peine de mort est pratiquée, même si cela uniquement en de rares cas. Les libertés fondamentales relatives à la liberté personnelle, telles que les libertés d’expression, de la presse, de réunion et d’association, sont restreintes de façon disproportionnée. L’Etat empiète sur la sphère privée de ses citoyen-ne-s. Les femmes sont discriminées par la loi et dans leur vie quotidienne. La violence domestique constitue un problème. Les employé-e-s de maison et les travailleurs/travailleuses étrangers/étrangères ne jouissent guère de protection de la part de l’Etat contre l’exploitation et les abus. La traite d’êtres humains et le travail forcé sont encore une réalité. Les handicapé-e-s, les homosexuel-le-s, les personnes séropositives et les personnes qui sont malades du SIDA sont discriminées.»
Dans son rapport mondial 2015 Human Rights Watch complète ce tableau en précisant:
«En 2014, les autorités des Émirats arabes unis (EAU) ont sévèrement restreint les droits à la liberté d’expression, d’association, et de réunion, en réprimant durement les activités de dissidents et de toute personne suspectée de porter atteinte à la sécurité. De plus, les autorités n’ont mené aucune enquête sur des allégations crédibles selon lesquelles les forces de sécurité auraient emprisonné arbitrairement et torturé des opposants. Les Émirats n’ont pas protégé correctement les travailleurs migrants des graves abus qui les menacent, et notamment les ouvriers du bâtiment qui construisent l’un de ses plus prestigieux projets. Les employées domestiques migrantes travaillent aux EAU dans des conditions parfois proches du travail forcé, de l’esclavage, ou du trafic d’êtres humains.» Et «les Émirats arabes unis se targuent d’être un modèle de tolérance dans la région, mais les faits révèlent une vérité bien plus révoltante, qui trahit un mépris des principes des droits humains et de ceux qui s’engagent en leur faveur» affirma Sarah Leah Whitson, Directrice de la division Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, et conclut: «Les gouvernements et les institutions qui souhaitent développer des liens plus étroits avec les Émirats devraient regarder de plus près son récent bilan en matière de droits humains.»
En ce qui concerne le Qatar, j’avais déjà rendu attentif plusieurs fois – aussi bien lors des débats à la Chambre des Députés sur la création d’un Sukuk souverain, que dans ma question parlementaire no 660 du 28 octobre 2014 – aux conditions épouvantables des travailleurs migrants dans ce pays. Ainsi, 1,4 millions de travailleurs ont été mobilisés par cet Etat esclavagiste pour construire aéroports, routes et stades en vue de la coupe du monde de football en 2022. Jusqu’à présent, plus d’un millier de travailleurs migrants ayant participé à la construction des stades ont péri dans des accidents mortels et il est à craindre que 4 à 5.OOO morts vont s’ajouter avant l’achèvement des stades. Douze heures de travail pour quelques dollars par jour, pendant 6 jours par semaine, le système kafala ne laisse aucune place au droits élémentaires, ni au droit de former un syndicat ou d’y adhérer. Les recommandations de l’Organisation internationale du Travail (OIT), exprimant la nécessité de réformer le système kafala et de prévoir la liberté syndicale et le droit de négocier collectivement, n’ont jamais été acceptées par le Qatar.
Dans leurs réponses communes à ma question parlementaire No 660 du 28 octobre 2014, Monsieur le Ministre des Sports et Monsieur le Ministre des Affaires Etrangères précisaient: «Le Luxembourg attache beaucoup d’importance aux droits de l’Homme, y compris à l’abolition du travail forcé. Ensemble avec l’Union européenne, le Luxembourg est engagé dans la promotion de la ratification universelle et de la mise en œuvre des huit conventions fondamentales de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) qui traitent de questions considérées comme des principes et des droits fondamentaux au travail: liberté syndicale et reconnaissance effective du droit de négociation collective, élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire, abolition effective du travail des enfants et élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession. Nous promouvons également des lieux de travail sûrs et sains dans le monde.»
Dans son rapport 2015 Human Rights Watch note à ce propos: «En réponse à la pression internationale croissante contre les abus de droits graves commis dans le secteur du bâtiment, les autorités qataries ont annoncé leur intention d’appliquer les réformes du travail proposées „d’ici début 2015“. Les propositions manquent de détails mais, si elles entrent en vigueur, elles réformeront en partie le système de parrainage du Qatar, appelé kafala, elles augmenteront les amendes imposées en cas de confiscation de passeport et elles permettront aux travailleurs de recevoir plus facilement des visas de sortie afin de quitter le territoire. Cependant, si les réformes reposent uniquement sur ces propositions, elles ne protégeront pas correctement les travailleurs migrants contre le trafic humain, le travail forcé et d’autres violations graves des droits, et ne leur garantiront pas le droit de quitter le pays.» «Alors que les détracteurs du Qatar cherchent à empêcher ce pays d’accueillir la Coupe du monde de football de 2022, la meilleure défense du gouvernement serait d’adopter d’importantes réformes législatives mettant fin une fois pour toutes au système de parrainage et aux frais de recrutement payés par l’employé, et sanctionnant les employeurs abusifs.»